Il y a une règle qui me poursuit depuis le début de ma carrière de scénographe. Afin de se rapprocher le plus possible du sujet, il est nécessaire de prendre de la distance avec ce dernier. S’identifier aux personnages, en s’éloignant assez considérablement, laisser la place au vide, au maladroit, à l’intense, à l’essentiel et aux sentiments qui risquent de resurgir soudainement échappés à notre contrôle cérébral.
Explorer l’inconnu.
L’inspiration pour l’univers de « La comédie sur un quai de gare » m’apparue comme une évidence suite à la découverte du livre d’Etienne Ketelslegers « Loneliness abandoned places ». L’auteur belge, Dieu soit loué, puisque de surcroit doté d’une bonne dose de surréalisme inexplicable, explore l’Islande en suivant son propre instinct à la recherche de maisons isolées dans son univers glacial. Sans savoir les raisons de cet abandon, sans connaitre leurs anciens habitants ni leur passé, j’avais, à la découverte de ses images, une forte impression de « déjà vu ».
L’étrange sentiment de se retrouver soudainement devant la maison de mon enfance m’est apparu. Ces volets en bois, délavés par l’usure du temps, ces teintes blanchies au soleil, cette herbe qui prend la possession du plancher. Ce vécu inconnu qui les transforme en être vivants et chers. Le passé lourd d’histoire les rend à tout jamais vivants. J’ai soudainement vu la petite gare de province qui a pris de l’âge, 30 ans exactement, tout comme le temps écoulé pour le père et sa fille.
Cet isolement du décor par rapport à tout le reste, expliquerait l’amour paternel inconditionnel puisque plus rien n’existe à partir du moment où le père regarde sa fille. Il ne lui reste d’ailleurs qu’elle. La gare est devenue le territoire de ses souvenirs un peu banals, un brin kitsh, les siens. « La banalité du vécu » donc, comme le disait Harry Gruyaert (un autre immense photographe belge) ou plutôt « la beauté de la laideur ».
Dans la scénographie de cette belle pièce, je tente de relever l’artifice et de garder en même temps, le réalisme quasi photographique, afin de créer dans l’ensemble un univers poétique caché entre les lignes de cet texte si intense.
C’est maintenant au spectateur de trouver sa propre interprétation et de réinventer sa propre histoire. De faire vivre l’enfant à jamais encré en soi.
Renata Gorka.
(photos: Étienne Ketelslegers)