Comment renvoyer l'image du temps perdu à jamais de son passé douloureux ?
En lui donnant tout simplement la forme la plus exacte possible. Puisque en fuyant, de toute façon, on revient toujours à soi.
Ce qui compte ici, c'est de faire revivre cette existence provisoire et isolée, des immigrés mineurs, les expériences qu'ils sont en train de vivre dans ce passé au présent, les épreuves qu'ils endurent et les émotions qu'ils traversent.
L'histoire devrait toujours commencer par "le dedans", des angles morts, des coins déserts, des chambres vides, "de la poussière des vitres, des corps droits mais crevés, des gueules noires". Et au milieu de tout ça, une longue attente de la vie meilleure, en dehors de cet étouffant univers clos. Mais la porte restera fermée à jamais et on y mourra lentement à la vitesse "d'un écrasement tranquille qui jours après jours te broie la cage thoracique".
Et puis, il y a des témoins.
Dans cette vie perdue d'avance ou tout semble provisoire, on doit en plus "te priver d’intimité pour que tu ne te sentes pas tout à fait chez toi".
L'objectif du permanent sentiment de la fragilité et du danger sera atteint. Le rôle du témoin n'est pas plus facile que celui du bourreau ou de la victime. Il devrait porter à tout jamais les conséquences de ses choix. Baisser son regard pour éviter "ces gens là" ou ouvrir la porte et susciter les émotions les plus profondes, jusqu'à éveiller ses propres cauchemars.
L'émotion viendra aussi je l'espère de cet univers un peu bricolé, légèrement maladroit, consciemment mal fait.
La poésie vient de la réalité et pas le contraire.
Renata Gorka.
(photo: Louise Bourgeois)