Tous les grands auteurs restent à jamais visionnaires dans leurs propos. Molière, en créant l’"Ecole des femmes" en 1662 (!) pourra prétendre au titre du premier féministe masculin en racontant l’histoire de la jeune Agnès, étouffée par une éducation tyrannique qui prendra progressivement conscience d’elle-même et de ses propres désirs.
Le parti pris ici par le metteur en scène Jean-Marc Chotteau dans ce monument universel est l’itinéraire d’enfermement et de ses conséquences sur autrui (sic), à quelques mois de l’explosion de l’épidémie de la COVID-19. Visionnaire lui aussi donc sans doute. Tel est le rôle d’artiste avancé.
L’isolement est donc total, d’Agnès, femme idéale, préparée à l’avance à assouvir les désirs de son non-élu jusqu’à son propre effacement. Pour obtenir le résultat souhaité, la future bien aimée vivra "dès ses 4 ans" dans une maison coffre-fort à l’image de la forteresse de Barbe Bleue spécialement conçue pour elle. Tout y est : portes blindées verrouillées, gardes du corps 24h/24, aucun droit de visite. Voici les éléments de ce stratagème diabolique. "Qu’elle soit d’une ignorance extrême c’est assez pour elle", s’extasie Arnolphe, sûr d’obtenir de ce machiavélique élevage une épouse docile et bête.
Agnès, une jeune femme brillante et éveillée, avancera de loin notre époque marquée par : les divorces houleux, les divisions forcées des sexes, des accusations télévisées, des procès sans fin, des manifestations musclées, des propos haineux sur le net.
Elle décidera d’elle-même d’être libre et indépendante, sans élever la voix, sans forcer les serrures des portes, sans porter la culote, sans même détester son bourreau. Suite à cela, nous retrouverons Arnolphe à genoux, dévasté, honteux et vaincu, armé au retour juste de la prise de conscience de son erreur. Nous, le public, aurons pitié de lui et de ces propres faiblesses, si humaines.
A l’aube du XXème siècle bien entamé, nous avons encore à apprendre de nos aïeux en perruques blanches bien poudrées.
Renata Gorka.
(photo: Louise Bourgeois)