"Le sentiment de la pudeur dans l’homme n’est qu’un produit de son imagination."
(Moritz)
« L’éveil du printemps » écrite par Frank Wedekind « de l’automne 1890 à Pâques 1891 » est
une oeuvre particulièrement visionnaire. La crise d’identité, d’appartenance, de croyance et un
profond isolement sociétal sont les signes de notre actualité.
L’histoire a une fâcheuse tendance à se répéter, vivant son propre chemin, sans fin et sans retour
non plus. Ce n’est qu’un éternel recommencement d’une la mise à mort.
Le devoir d’artiste est d’exhumer ses propres souvenirs, même les plus cauchemardesques.
Les avouer.
Les revivre.
Les déterrer.
A chacun de nous ensuite, de réanimer son propre adolescent égaré sur un banc d’écolier.
L’espace de jeu de cette pièce devrait rester vide ou presque, pour laisser la place à notre
mémoire sélective et inconsciente.
La seule et unique installation est un étrange objet métallique, structuré, morcelé en dizaines
de tiroirs tous identiques et uniformes. Cet immense mur pénitentiel fera sentir sur le plateau
la névrose palpable derrière ses murs silencieux. Comme un gigantesque grenier du monde où
seront scellés nos souvenirs les plus inavouables.
L’oppression des corps et de l’âme des adolescents - victimes de Wedekind sera illustré par les
bandes infinies de film transparent qui les étoufferont au lieu de les protéger. L’échec d’une
éducation à perte.
« Melchi ne croit en rien, ni dieu, ni au-delà, ni plus rien de ce monde » dira Wendla.
Cet immense meuble deviendra le tombeau de celui qui au crépuscule de ses 15 ans dira : « Je
suis joyeux de pouvoir regarder en arrière sans amertume », prêt, enfin, à se tirer une balle dans
la tête.
Plus d’un siècle plus tard le brillant réalisateur Gus Van Sant montera le même mimétisme allant
vers la destruction juvénile dans « Elephant », là où la pression de la réussite devient vitale.
La multiplication des tiroirs illustrera une lourde atmosphère d’institution où le suicide n’est
qu’une sombre affaire administrative.
Et comme chez Wedekind, l’échappatoire n’est possible puisque « toutes les fenêtres sont
murées », et il y règne une « atmosphère identique aux souterrains de catacombes ou aux salles
d’archives d’une ex-cour d’appel ».
Plus d’espoir ?
Si.
Melchior, 35 ans, le seul survivant, essayera de revivre notre passé à travers ses rêves éveillés.
Ce mur sera dédié à la mémoire de Wendla, la dernière sacrifiée.
Une leçon des ténèbres pour ne plus faire d’aussi jeunes victimes.
Le témoin a toujours le droit à la parole.
Nous sommes tous responsables.
Renata Gorka