« On devrait toujours se demander ce qu’un artiste a dans l’œil. Sa mémoire n’est pas seulement celle de sa vie mais de la vie des autres et de la représentation de ces vies. Sa mémoire est celle du trait d’un autre, le plus souvent d’un mort sur une feuille qui est comme l’enregistrement de son souffle sur une page blanche. »
(Gilles Sebhan)
« Nous sommes tous exilés » d’une certaine manière » dit Emile Lumbroso.
A l’image de ce grand-père atterrit, hagard, à la gare vétuste de Tournai après son interminable voyage par la mer. Venu spécialement du Maroc dans ce pays si étrange et inconnu qui est la Belgique des années 70te, pour assister au mariage de son fils avec une belge qu’il n’a jamais vue. Endimanché en solennel dans son seul costume usé, sa petite valise à moitié vide serrée dans ses mains fatiguées, il attend. Mais personne ne viendra le chercher. On l’a oublié. Le seul invité d’un autre monde.
Il faut beaucoup de détermination et un brin de folie pour oser compresser toute sa vie dans un seul bagage à main. Fonder une famille sur un terrain sans racine aucune et en appartenant également à une immigration dérangeante, méprisée de tous.
« Aujourd’hui on a tendance à fabriquer pour la société que des perroquets et des clones, sans accepter aucune différence. » (J. Hassoun)
La politique de masses où l’égaré porte le sentiment d’être puni d’une histoire qui n’est pas celle des autres.
Louise Bourgois au contraire donne toute l’importance au « personnage périphérique » qui devient soudainement central, sort de l’oubli avec une toute nouvelle énergie, transgresse les mœurs. Pour élargir notre propre champ visuel, nous devons déhiérarchiser, abonner la tyrannie du centre, reconstruire notre appartenance.
Comme dans les photos de Harry Gruyaert, où à la manière de collages de Picasso, les éléments à la base non destinés à être ensemble sont juxtaposés. Transfigurer le banal pour obtenir l’insaisissable, original et fort. Unique en soi.
Je me sens redevable de créer sur le plateau l’espace exigu et intime pour permettre aux personnages de raconter l’histoire de cette communauté isolée, qui lègue à ses enfants le poids de la double appartenance.
Ces figures pittoresques, pourtant si proches de nous, vont pouvoir transfigurer nos émotions intérieures.
Nous sommes tous des éternels errants et tout ce que nous possédons est provisoire.
Renata Gorka
(photo: Harry Gruyaert)