Norma Desmond, une immense star américaine du cinéma muet a eu tord de rester vivante aussi longtemps. Le peuple a le gout d’aduler éternellement ces stars disparues, jeunes au sommet de la gloire, de mort violente de préférence. Voir progressivement de ces héros, capter à vue l’œuvre de leur vieillesse, c’est affronter sa propre mort et disparition, la chose inacceptable.
Norma Desmond tel qu’un papillon de nuit, obstiné à se débattre dans le vide nocturne, vit isolée du monde, qui tente de l’oublier.
Sa, jadis magnifique propriété californienne de Sunset Boulevard ne cesse de subir le marquage inévitable du temps qui passe, autant qu’elle-même. « Je suis toujours belle, c’est le cinéma qui est devenu un monstre », dira-t-elle dans son profond déni.
La star vieillissante va se nourrir sans cesse des projections des films d’elle-même du passé glorieux. La seule vraie animation de cette vie distante ce sont quelques figures de cire qui assisteront aux interminables soirée de bridge de Norma Desmond, les dernières bribes d’anciennes célébrités, qui ont eu l’audace de rester encore en vie.
Mais « Sunset Boulevard » n’est pas seulement une histoire de fin de vie. C’est aussi le récit d’une femme condamnée à vie à vieillir seule, puisque toutes les barrières sociales et toutes les mœurs du pays de la liberté empêcheront de perdurer son amour impossible, envers un homme beaucoup plus jeune, beaucoup plus pauvre et beaucoup moins connu qu’elle.
On peut tuer si facilement la plus belle histoire d’amour en la ridiculisant.
Ainsi le monde verra enfin la fin grotesque de sa star échouée.
Norma n’arrivera pas à se donner la mort malgré ses plusieurs tentatives de suicide ratées.
On ne peut pas tuer une fiction.
Elle aura par contre le courage de tirer sur le dernier homme qui l’abandonne en sachant qu’il n’y aura plus jamais aucun autre. Elle prendra soudainement vie avec cet arrêt à l’image. Son amant mort près d’elle, son dernier somptueux costume de scène mis, sa dernière descente dans le feu de la rampe entamé. Elle est prête pour sa dernière sortie. Devant elle, en bas la foule (enfin) assoiffée de sang et du crime à l’instar du public de jeux de gladiateurs.
Les vrais héros meurent debout, comme des arbres.
Renata Gorka.