« Ce n’est pas vrai que l’homme moderne a vaincu la peur par la science.
La peur est toujours la même.
La peur du monde extérieur,
La peur de son propre destin,
La peur de la mort,
La peur de l’inconnu,
La peur du vide,
La peur de l’abandon.
Il n’est pas vrai, qu’un artiste est un vainqueur, qui nous donnera des leçons.
Croyez moi, c’est un pauvre homme sans défense.
Il est juste conscient et dans cette conscience est né sa peur.
Si c’est vrai que l’artiste se consomme dans son acte de la création, alors son œuvre n’est que les cendres. »
(T. Kantor)
On vit une époque où on n’a jamais construit autant de murs, selon Laurent Gaudé notre « poète » des souffrants.
Mon décor n’est qu’un mur : lisse, immaculé, blanc, uniforme et impossible à franchir. Devant lui, six personnages unis dans sa douleur et son impuissance.
« Si on décide d’abandonner le décor traditionnel au théâtre ce n’est pas à cause de sa forme. Il existe une raison beaucoup plus importante. On doit trouver à la place, LA FORME QUI CONSTRUIT L’ACTION, SUIT SON PARCOURS, SA DYNAMIQUE, SES CONFLITS, SON DEVELOPPEMENT. LA FORME QUI ENGAGE LE JEU D’ACTEUR. » (T. Kantor)
L’espace de jeu de « Tristesse animal noir », carrelé et froid va engager l’acteur, à constamment essayer d’échapper à son inévitable catastrophe. Courir vers ce mur, y grimper, s’y butter, s’y cogner et enfin ... tomber devant cette force toute puissante et immobile, froid de sueur. Le décor sera un levier de jeu pour l’acteur. Epuisé par cette course sans fin, son jeu sera réellement transformé. L’acteur deviendra le personnage : épuisé et impuissant.
Dans mon travail de scénographe, j’ai décidé volontairement de ne pas représenter visuellement la facteur principal de cette pièce : le feu. Ce n’est la cause qui est importante, ce sont ses conséquences.
L’homme moderne entouré des gadgets dernière technologie se sent si impuissant et immortel aujourd’hui. Il oublie malheureusement que la force de la nature est toujours la même : écrasante. Elle vient souvent de nul part et en une vitesse éclaire, comme un ennemi sournois, elle peut l’anéantir en quelques secondes.
On ne verra donc pas de feu dans ma scénographie, on y verra par contre la sueur et la course sans fin pour y échapper. On verra l’espace immaculé transformé progressivement en désastre.
La belle galerie d’art du début, parfaite dans sa belle froideur et uniformité, sera vite transformée. D’abord, la (sur)consommation excessive sur le plateau des aliments et des boissons va ressembler à un air de déchets abandonnés.
On ne verra pas non plus d’arbres sur le plateau puisque le feu les a tous détruit. Les cendres qui tomberont sur chacun des personnages comme une douche opaque va représenter le bois consommé.
L'homme va subir l'espace
Dans mon travail sur le corps des comédiens, je me suis inspirée du théâtre de Bûto, et sa danse née suite à Hiroshima. Ces jeunes gens, beaux, intellos et aisés, quittent la ville (trop) bien habillés pour un week-end dans les bois, deviendront méconnaissables au cours de la pièce.
Ils vont représenter en direct, la destruction totale de leur corps par le feu, ils vont enlever les beaux habits, pour exposer les haillons salis par la cendre, mélangés à de la fine brume d’eau qui tombera également du plafond. Les comédiens vont aussi transformer leur visage.
Dans un premier temps avec des perruques afin de pouvoir couper leurs cheveux brûlés par le feu.
La transformation continuera à l’aide de têtes d’animaux détruits dans le bois et « empaillés » sur leurs propres têtes.
En ce qui concerne le manque d’oxygène, je l’évoquerai par l’enfermement de l’homme dans des sacs plastiques transparents – le produit d’appel de notre époque.
Et enfin, cette course à l’aveugle, droit vers le mur, va faire naître sur sa surface la trace des arbres imprégnés grâce aux corps couverts de cendres. L’image des arbres morts, squelettiques et droits.
Le public y verra la beauté dans la laideur de ces corps souffrants, on sera hypnotisé par cette bataille sans espoir, on y sentira la condition fragile de l’homme.
De nous mêmes.
L’horreur est si proche, il nous guète comme un animal noir, caché dans les bois. Nous allons vous le raconter.
Ames sensibles, s’abstenir.
Renata Gorka.